vendredi 14 mai 2010

Le rêve breton de Jack Kerouac





Voilà une décennie, la généalogiste Patricia Dagier et le journaliste Hervé Quéméner révélaient (1) les racines bretonnes de l’écrivain culte de la beat génération qui a « ébranlé la société américaine dans ses certitudes » : Jack Kerouac (1922-1969). C’est dans la moiteur d’un été 1939 à New York que les anges et les démons de sa vie s’installent à demeure : alcool, drogue, errance, jazz, littérature, prostituées et sport. Kerouac a dix-sept ans. Il lui en reste à peine trente pour poursuivre sa mauvaise étoile dans les deux mondes  – alors que l’Amérique roule à tombeau ouvert vers une surconsommation qu’il se consumera à fuir. « J’ai un désir subconscient d’échouer, une sorte de vœu de mort » écrivait l’auteur de Sur la route (1957). Avec son ami Gary Snyder, il invente « ce qui sera quelques années plus tard le mode de vie des hippies : un couchage dans le sac à dos, quelques maigres provisions, la toilette dans les torrents, la nudité en groupe et l’errance d’un lieu à un autre en toute liberté ». Dans les derniers mois de sa vie, Kerouac mobilise famille et amis pour retrouver la trace de son supposé ancêtre breton, Urbain-François Le Bihan de Kervoac, un « maître en matière de camouflage » dont les enfants ne sont jamais arrivés à faire valoir leurs droits sur l’héritage…Le rendez-vous de Kerouac avec la Bretagne ne sera pas tenu – pas davantage qu’avec sa propre famille : sa fille, Janet Michelle (1952-1997) jamais reconnue, ne touchera rien de sa fabuleuse part d’héritage sur l’auteur de ses jours dont l’âme aura surtout exulté dans le dénuement. Une enquête minutieuse bien menée, tant dans les archives françaises et canadiennes qu’entre les lignes de vie de Kerouac, qui achève magistralement le rêve breton inachevé de l’écrivain perdu.
Patricia Dagier et Hervé Quéméner, Jack Kerouac, Breton d’Amérique, éditions Le Télégramme, 206 p., 18 €

Jack Kerouac, au bout de la route…la Bretagne (An Here, 1999)

Chants de la tombée du jour d’un roi-philosophe …

Le roi-philosophe Nezahualcoyotl (1402-1472) a été tout à la fois un législateur et un bâtisseur de génie, un redoutable chef de guerre et un poète, contemporain de François Villon (1431-1463). Les éditions Arfuyen rééditent les chants du souverain chichimèque de l’Etat-cité de Texcoco (alors réputée sous son règne pour ses « maisons de poésie ») qui réalisa le rêve de Platon (427-347 avant J.C.) – « qu’un philosophe fût roi ». Ces « poèmes de plaintes et de désolation », traduits du nahuatl et présentés par Pascal Coumes et Jean-Claude Caër, ont été transmis par tradition orale et retranscrits après la première « mondialisation » par les conquistadors. « Ils expriment la tristesse de tout un peuple, d’une civilisation splendide à son apogée qui se sent condamnée à disparaître » rappelle Jean-Claude Caër qui suggère un parallèle avec les Psaumes du roi David :

Où irons-nous ?
Où la mort n’a-t-elle pas son empire ?
Mais faut-il vivre dans les pleurs
Parce qu’elle existe ?
Que ton âme soit dure :
Nul ici ne vivra pour toujours !
Même les princes finiront par mourir :
C’est ce qui consume mon cœur.
Que ton âme soit dure :
Nul ici ne vivra pour toujours !

En 1431 (l’année de la naissance de François Villon), suite à ses victoires militaires, le chef de guerre Nezahualcoyotl est sacré seigneur de Texcoco, entame un règne de quarante ans et instaure un modèle de gouvernement pour les peuples du Haut-Plateau – « Texcoco pouvait se glorifier d’être l’Athènes du monde occidental » écrivait l’historien Prescott. 
Aujourd’hui, par la grâce d’un livre advenu en son heure, « le plus grand nom de la poésie précolombienne » fait chanter dans l’assèchement de notre hypermodernité en proie à une terrifiante surenchère cette détresse ontologique de l’âme indienne – et, nous parlant d’une civilisation à jamais consumée, jette par brassées sa lumière sur les bruits du jour qui se retire.
Nezahualcoyotl, Sur cette terre, à nous prêtée…, Arfuyen, 120 p., 14 €

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