mardi 23 mars 2010

Colette Andris, le roman d’une danseuse nue

L’affiche de l’Exposition des arts décoratifs et industriels de 1925 montre une jeune femme courant à côté d’une antilope. En ces Années Folles, ces années-jazz où triomphe la Vénus noire Joséphine Baker, l’image de la femme bouge et de nouvelles danses apparaissent, elles ont nom charleston, tango ou fox-trot. Hommes et femmes sont animés par une irrésistible frénésie de rire et de danser sur les millions de morts de la Grande Guerre. C’est de ce terreau fertile que jaillit une belle plante nommée Pauline Toutey, née dans les Vosges avec le siècle. En 1930, cette jeune licenciée ès lettres tomba la robe d’avocate pour danser nue sur les scènes parisiennes – et devenir Miss Nocturne, « la danseuse nue idéale », son double littéraire dont elle écrit d’une plume légère, sous le pseudonyme de Colette Andris, les irrésistibles aventures dans Une danseuse nue (Flammarion) : « J’ai voulu, moi, lancer le nu intégral, sans braver la conventionnelle décence, ni la police : un gros ballon me tenait lieu de cache-sexe mobile, et j’exécutais « la danse du ballon », ou, si vous aimez mieux, « le jeu du ballon », au cours duquel jamais on ne voyait ce qu’on ne devait pas voir ». 
Le but de la danseuse nue ? « Créer de la beauté, une ligne continue de vivante beauté »… 
En 1933, le directeur du cinéma des Folies-Dramatiques présente aux Parisiens La Marche au Soleil, un film à succès sur le naturisme, tel qu’il se pratiquait alors en Allemagne avant l’avènement d’Adolf Hitler. Colette Andris illustre cette présentation par « un numéro sportif et joyeux » : « Je ne pensais pouvoir mieux faire que d’exécuter ma Danse du Ballon, telle qu’elle avait été réglée, c’est-à-dire nue, intégralement nue ». 
Le public et le succès furent au rendez-vous  - et la censure désarmée : « Cette bienveillante neutralité n’était-elle pas à prévoir sous le règne de M. Chiappe, le plus Parisien des Préfets de Police, qui, s’il cherche à purger la capitale de ses paradis frelatés, ne tient pas à la priver, au nom d’une pruderie exagérée, de joie saine et d’air pur, car alors Paris ne serait plus Paris. »
Elle venait de donner droit de cité au « nu intégral » sur scène – avant elle, le cache-sexe en perles était de rigueur...
Dans un ouvrage édifiant sur La beauté du corps et l’avenir de l’humanité, elle écrivait : 
« …Une herbe que le vent courbe est nue et parfaite en son mouvement. Alors, pourquoi le corps, cette plante merveilleuse, ne serait-il pas simplifié, dépouillé de parures inutiles et trompeuses, pourquoi ne serait-il pas, lui aussi, un reflet d’harmonie, l’enchantement vivant que, pétrifié, représente une belle statue ? »
Mais « la carrière de danseuse nue est forcément une des plus limitées qui soient, puisqu’elle est à base de jeunesse ». Vient le moment de « faire une fin » c’est-à-dire un beau mariage, car « la danse nue entretient et prolonge la beauté, mais elle n’a tout de même pas le pouvoir de la rendre éternelle ».
Miss Nocturne épouse l’homme idéal, le délicat Gilbert Chantal, « président des automobiles Spring », qui lui fait une ravissante enfant, Marie-Allix, et la pousse à réaliser son rêve : «…Pourquoi ne la fonderais-tu pas, cette Ecole de danse nue ? Marie-Allix serait  ta première élève, et ce serait bien facile pour elle qui est jolie et que nous habituons à vivre nue comme un charmant petit animal ; jamais cette enfant ne considérera la nudité comme une parure insolente, mais bien comme la plus naturelle des parures, et l’harmonie nue lui  sera toute instinctive. Elle d’abord, d’autres ensuite… » 
On ne sait si Colette Andris fonda son école de danse nue par la grâce d’un mariage heureux avec un mari mécène inspiré – après tout, Une danseuse nue raconte surtout ce qu’elle aurait voulu être... Mais elle fit école. En 1935, une jeune danseuse américaine, Joan Warner, qui dansait entièrement nue dans un cabaret parisien en se protégeant avec un immense éventail en plumes d’autruche, fut assignée en justice par un client ulcéré. Ce fut l’un des derniers grands procès pour attentat à la pudeur au cabaret. L’acquittement de Joan Warner encouragea les établissements parisiens à déshabiller leurs pensionnaires pour attirer la clientèle. Trois « camps naturistes » avaient fait leur apparition en région parisienne (Air et Soleil, le Club Gymnique de France et le Sparta Club) et une douzaine en province.
De Colette Andris demeurent quatre livres et trois films, datés d’entre 1929 et 1934. Puis sa trace publique se perd. Un beau mariage ? Spring évoque une marque d’outre-Atlantique… Aurait-t-elle émigré pour vivre heureuse donc… cachée ?

Bibliographie de Colette Andris

La femme qui boit, Gallimard, 1929
L’ange roux, Gallimard, 1931
Une danseuse nue, roman, Flammarion, 1933
Beauté du corps et avenir de l’humanité, 1933 (introuvable).

Filmographie

Le culte de la beauté (1930) de Léonce Perret
Brumes de Paris (1932) de Maurice Sollin
Une nuit de folies (1934) de Maurice Cammage

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